Quelles sont les couleurs utilisées pour l’enluminure insulaire ? Comment étaient-elles utilisées ? Sont-elles différentes de celles utilisées à la même époque sur le continent ?
C’est ce que je vous explique aujourd’hui !
Lors de mon apprentissage, la période insulaire est la première que j’ai abordée en termes de peinture. Pourquoi ? Parce que si on fait abstraction des motifs compliqués du style graphique insulaire, la pose des couleurs reste l’une des plus simples.
Introduction
Etant donné que j’ai rompu mon fil chronologique, je ne peux pas vous présenter la palette insulaire en partant de la précédente (la gothique).
Je repartirai donc de celle que je vous ai déjà présenté pour une époque similaire : la palette mérovingienne.
Souvenez-vous en. Elle se composait de :
- Blanc : blanc de plomb
- Jaune : jaune de plomb (massicot), jaune d’arsenic (orpiment)
- Rouge : rouge de plomb (minium), rouge d’arsenic (réalgar), rouge de fer (hématite), rouges bruns et violacés obtenus à partir de plantes
- Vert : vert de cuivre (vert-de-gris), verts obtenus à partir du broyage de pierres (malachite, chrysocolle)
- Bleu : indigo
- Noir : noir de fumée
La palette insulaire
La palette de couleurs insulaires est à peu de choses près la même que la palette mérovingienne.
Blanc
Tout comme dans l’enluminure mérovingienne, le blanc est très peu présent tel quel dans les manuscrits insulaires. La plupart du temps, un espace “blanc” était du parchemin mis en réserve.
Le blanc pouvait être utilisé en petites touches pour des détails ou comme base à la pose d’un autre pigment et ainsi en modifier la peinte.
Le blanc de craie ou de plomb était alors utilisé.
Sur cet exemple, quelques détails sont apportés par des touches de blanc.
Jaune
Le jaune est beaucoup utilisé dans les manuscrits insulaires. Comme pour les manuscrits mérovingiens, il avait le même rôle que l’or : apporter la lumière. C’est l’orpiment qui est le plus utilisé, sa teinte étant éclatante.
Book of Lindisfarn
Rouge
La teinte rouge la plus répandue dans les couleurs insulaires est celle du minium, le rouge de plomb. Sa couleur éclatante orangée apporte elle aussi beaucoup de lumière aux manuscrits. En fonction de la façon dont on pose le pigment, elle peut avoir une teinte très claire, presque fluo, ou plus brune.
D’autres rouges plus foncés étaient également utilisés, comme l’hématite ou la garance, ainsi que des plus violacés comme l’orseille ou le folium.
Sur le premier exemple, le minium est utilisé pour le vêtement de St Jean, ainsi que les écritures qui l’entourent.
Sur le deuxième exemple, c’est une couleur plus violacée comme l’orseille ou le folium qui a été utilisée pour peindre le vêtement. Pour obtenir ce rose pâle et vu la couvrance du pigment, je pense que qu’il a été mélangé à du blanc. La toge, elle, est certainement peinte en utilisant le pigment seul. Les détails sont apportés par le minium.
Vert
Le vert-de-gris est le vert dominant des manuscrits de cette époque. En effet, cette couleur regroupe une palette très complexe de verts allant d’un vert-bleuté turquoise à un bleu gris presque terne. Tout dépend de la qualité du pigment et de son oxydation.
Book of Lindisfarne
Bleu
Tout comme le vert-de-gris le fait sur le vert, l’indigo règne en maître sur la palette des bleus. Sa couleur variant d’un gris terne à un bleu profond presque violacé le rend intéressant et permet d’en faire des usages variés en fonction de la manière dont il est posé ou préparé.
Sur cet exemple, les cheveux du personnage, les montants de son siège et le fond sont tous trois peints dans des nuances d’indigo/pastel.
De manière très rare pour l’époque, on pouvait également trouver du bleu de lapis lazuli. Il a été identifié dans les Évangiles de Lindisfarne.
Noir
Le noir est beaucoup utilisé dans les manuscrits insulaires, surtout pour cerner et cloisonner les formes complexes des illustrations. Le noir le plus répandu est le noir de fumée, obtenu à partir de la combustion d’éléments organiques tels que le bois.
Book of Lindisfarne
Utilisation des couleurs
Dans l’enluminure insulaire, les couleurs sont la plupart du temps posées en aplats et transparences. Les techniques telles que les fondus et dégradés n’apparaissent que plus tard et ne sont pas utilisées.
Si les aplats permettent d’obtenir des couleurs vibrantes, les transparences permettent, elles, de jouer avec les teintes, que le pigment soit posé seul ou en superposition.
A retenir
1- La palette de couleurs insulaire est sensiblement la même que la palette mérovingienne.
2- Elle se compose de :
- Blanc : blanc de plomb
- Jaune : jaune de plomb (massicot), jaune d’arsenic (orpiment)
- Rouge : rouge de plomb (minium), rouge d’arsenic (réalgar), rouge de fer (hématite), rouges bruns et violacés obtenus à partir de plantes (folium et orseille)
- Vert : vert de cuivre (vert-de-gris), verts obtenus à partir du broyage de pierres (malachite, chrysocolle)
- Bleu : indigo
- Noir : noir de fumée
3- Ses couleurs étaient utilisées en :
- Aplats
- Transparences
- Superpositions
Et vous, qu’en pensez-vous ?
En comparant l’enluminure insulaire et mérovingienne, imaginez-vous que l’on puisse produire des choses aussi différentes avec les mêmes pigments ?
Que pensez-vous des couleurs et de la manière dont elles sont utilisées ?
Dites-moi tout en commentaire !
Et un grand merci à Marie de l’atelier Expecto Pigmentum de m’avoir aiguillée pour cet article !
Super intéressant. je commence à me plonger dans les questions des couleurs car j’ai fait un travail personnel dans une rivière autour des ocres (un peu en mode land art) et j’aimerais ramener ça dans ma pratique artistique inspirée des entrelacs. Du coup je suis en train de lire tous tes articles sur les couleurs et de faire des recherches sur le sujet des pigments, des peintures, etc.
Je suis à la convergence de pleins de choses qui se sont présentés à moi sans que j’ai rien demandé : les ocres à la rivière, les vidéos de Joanne Green (https://www.instagram.com/joanne_green_art/) qui fait des pigments avec tout et n’importe quoi (mais des peintures éphémères du coup), une émission chopée sur France Inter, Sous le Soleil de Platon, avec Michel Pastoureau qui parle de la place des couleurs dans la culture (https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sous-le-soleil-de-platon/sous-le-soleil-de-platon-du-mardi-15-aout-2023-6889693)… et des articles.
Au carrefour de tout ça une recherche artistique à venir pour inclure des peintures faites maison dans des créations.
D’ailleurs suggestion d’article si c’est permis, j’ai lu aussi avant celui-ci ton article sur “l’équipement” de l’enlumineureuse et tu y parles de pigments mais par de la fabrication de la peinture. Intentionnel ? L’objet d’un futur article ? Je serais curieux de connaître ta présentation de la chose.
Enfin une suggestion encore : il serait bien plus facile de naviguer dans ce sujet si tu avais un tag/catégorie “couleurs”, vu que tu en as fait pleins 🙂
Merci encore pour ton travail de partage.
Merci pour ton retour très complet !
Michel Pastoureau, c’est la référence en matière de couleurs !
Concernant la préparation des pigments, il me semblait pourtant l’avoir fait, mais maintenant que tu le dis… Il faudra que je prépare un article sur le sujet !
Pour les tags/catégories, tu as raison. J’avais commencé à faire le ménage il y a quelques jours pour réorganiser tout ça, je continuerai bientôt.
Encire merci pour ce commentaire !
* … et tes articles pas des articles