Quand on se retrouve face à la tâche parfois titanesque de devoir réaliser une enluminure, on peut rapidement se demander par quel bout commencer. Car savoir préparer ses pigments, c’est bien. Savoir les poser, c’est mieux. Mais comment savoir dans quel ordre les poser ?
Si vous débutez la peinture et l’enluminure en particulier, vous pouvez être tenté de vous lancer dans le grand bain sans préparation. Moi-même, avant d’intégrer la méthodologie que l’on m’a enseigné, j’étais du genre à peindre au petit bonheur la chance. Et j’appuie sur le mot chance, car il s’agissait bien de cela quand je parvenais à un résultat correct, voire, satisfaisant.
Je vous ai déjà parlé de l’importance des différentes étapes nécessaires à la réalisation d’un projet, que ce soit la recherche des images de référence, la préparation de votre palette ou la mise au propre de votre dessin.
Eh bien sachez que la pose de vos pigments, mais surtout, l’ordre dans lequel vous le faite, est tout aussi crucial pour que vous puissiez mener votre projet à bien !
Voici comment procéder.
En premier lieu
Si vous travaillez dans un style simple comme le mérovingien ou le mozarabe, la pose de vos pigments sera simple dans le sens ou les couleurs sont la plupart du temps utilisées seules. Il s’agit donc de savoir si vous voulez poser votre pigment en aplat ou en transparence.
Mais si vous travaillez dans un style un peu plus complexe, (tel que le carolingien, l’ottonien, le roman ou le gothique) il vous faudra bien observer vos images de référence pour distinguer la ou les techniques utilisées pour la pose des pigments. Car ce sont ces techniques qui déterminent l’ordre dans lequel vous devrez poser vos pigments.
En effet, les styles complexes cités plus haut ont cette caractéristique en commun que les couleurs ne sont la plupart du temps pas travaillées seules. Elles sont souvent associées entre elles, grâce à différentes techniques.
Imaginez-vous construire une pyramide…
Pour faire simple : imaginez-vous construire une pyramide. Elle possède une base sur laquelle on vient poser une superposition de pierres jusqu’à atteindre le sommet. La base, c’est vos premières couleurs. Le sommet, ce sont les derniers détails. La superposition des pierres, c’est la superposition des différentes couches de pigments.
Le plus difficile est en fait de savoir de quelle manière ces pigments sont superposés.
Le but de la couleur du dessus est-il d’altérer la couleur qui se trouve en dessous? Ou alors de la recouvrir complètement pour n’en laisser apparaître qu’une partie sur un espace donné ?
La superposition d’aplats
Dans une superposition d’aplats, plusieurs couleurs sont superposées les unes aux autres et travaillées en aplats. Bien entendu, elles ne le sont pas sur toute la surface, car cela n’aurait pas grand intérêt.
En général, la superposition d’aplats est utilisée pour apposer des détails sur un fond, ou pour créer un camaïeu de couleurs, souvent gouachées. Il faut donc que vous observiez laquelle des couleurs a été posée en premier, et laquelle sert d’ornement ou de réhaus.
Cette technique est la plupart du temps utilisée en enluminure carolingienne, ottonienne et romane (parfois byzantine).
Dans l’exemple, en comparant la couleur du vêtement du personnage et celle des points décoratifs de la frise, on peut observer que ce bleu est plutôt clair, paraît “crémeux” et que quand il est superposé au rouge de la frise, il ne perd pas trop sa teinte. Cette luminosité et cette couvrance me font supposer qu’il est gouaché.
La couleur de base du vêtement est donc composée de ce bleu, qui a certainement été posée sur toute la surface de cette couleur. On lui a ensuite superposé deux à trois autres teintes de bleu, de plus en plus foncées et dont le camaïeu forme l’ombre du vêtement de manière subtile.
La superposition d’aplats et de transparences
Dans une association aplat/transparence, il y a deux méthodes possibles.
La première : c’est la couleur travaillée en aplat qu’il faut poser en premier, pour ensuite venir y superposer la transparence. La raison est simple : un aplat est opaque là où une transparence est par définition transparente.
Le but de cette association est d’altérer la couleur de base afin de créer une nouvelle teinte qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir en mélangeant directement les deux pigments sur la palette.
Dans cet exemple, j’ai d’abord posé un aplat de gris très clair sur l’ensemble de la surface du vêtement du personnage. Puis, pour sculpter les ombres, j’y ai superposé des transparences de noir.
La deuxième : c’est la couleur travaillée en transparence qu’il faut poser en premier, pour ensuite venir y superposer la même couleur (ou une autre) posée de manière plus dense, avec la même intensité que si elle avait été posée en aplat.
Cette association, réalisée de la première comme la deuxième méthode, est utilisée pour créer des ombres et lumières ou sculpter les volumes, dans l’enluminure carolingienne, romane, gothique et byzantine.
Dans cet exemple, on voit très bien que le vêtement rouge du personnage de gauche a été peint en transparence, car on distingue le schéma de réglure par transparence. La couleur est donc assez claire, et on lui a superposé des traits de la même couleur posés de façon plus intense pour signifier les plis du tissus.
En pratique
En pratique, il faut donc que vous déterminiez la manière dont vous voulez poser vos pigments avant de le faire. Une fois la technique choisie, vous pouvez déterminer quelle couleur vous servira de base, et quelle couleur servira à rehausser cette base, soit en la travaillant en aplat, soit en la travaillant en transparence.
Quoi qu’il en soit, gardez en mémoire que les couleurs sont la plupart du temps posées les unes sur les autres, à la manière d’une pyramide, avec une base et un sommet.
Voilà, maintenant vous devriez savoir dans quel ordre poser vos pigments. Alors, je sais qu’en théorie, cela paraît simple et que la pratique peut parfois être plus éprouvante. Mais avec de l’observation et des tests, rien n’est impossible.
J’espère en tout cas que cet article vous aura plu ! Avant de partir, dites-moi donc en commentaire la manière dont vous posez vos pigments, si vous avez une méthodologie précise ou si vous y allez au petit bonheur la chance.
Sur ce, je vous dis à très bientôt !