Un an pour réaliser un manuscrit de toute pièce, de la première idée à la reliure. La semaine dernière, je vous présentais la manière dont j’avais réalisé le deuxième chapitre de ce manuscrit dans un style ottonien. Aujourd’hui, je vous parle de l’étape suivante : celle du troisième chapitre, consacré aux Terres Suebenes.

Pour rappel, mon manuscrit a pour thème un monde que j’ai imaginé. J’ai en effet décidé d’utiliser pour sa réalisation un roman de Fantasy que j’écris. Et oui, car en plus d’être enlumineresse, je suis aussi autrice !
Mon cahier des charges est le suivant : choisir un ou deux styles de l’enluminure occidentale, calligraphier un texte court dans l’écriture du.des style.s choisi.s, inclure au moins quatre pleines pages.
Le but de mon manuscrit est donc de présenter les divinités que j’ai inventées pour mon histoire, avec leurs spécificités propres, comme on l’aurait fait au Moyen-Âge.
En théorie
L’idée était de représenter les dieux créateurs des cinq civilisations de mon histoire. La troisième civilisation concernée est celle des Suebens.
Pour créer cette civilisation, je me suis librement inspirée des peuples Bédouins et dans mon histoire, les Suebens habitent au sein d’un désert de sable volcanique noir. C’est pourquoi, l’élément dont ils ont eu le plus rapidement besoin pour survivre était l’eau, qu’ils considèrent comme leur bien le plus sacré.
Ils ont donc associé leur divinité créatrice à l’eau, et l’appelles le Sinam, qui veut dire le « Sans Nom ».
Le but de ce troisième chapitre était donc de représenter le Dieu Sans Nom, dans un style duquel devaient ressortir, si possible, des influences arabes.
En pratique
étape 1 : choisir le style
En pratique, je voulais trouver un lien logique entre la manière dont j’avais créée le Dieu Sans Nom et le style d’enluminure que j’allais lui associer. Etant donné que je me suis librement inspirée des peuples Bédouins pour créer les Suebens, j’ai voulu utiliser une enluminure du sud de l’Europe ou de l’Afrique du Nord. Il fallait également qu’elle ait un lien avec l’enluminure carolingienne.
L’enluminure mozarabe correspondait à ce que je cherchais, car c’est un style qui s’est développé dans la péninsule ibérique et au sud de la France quand ces territoires étaient sous domination arabe. Est mozarabe « celui qui n’a pas d’ascendance purement arabe mais qui s’est introduit parmi les arabes, parle leur langue et imite leur apparence » [Selon le lexicographe irakien al-Azharī du Xe siècle, Wikipedia]
étape 2 : la mise en page
Une fois le style arrêté, j’ai commencé à chercher des références dans les manuscrits mozarabes que je connaissais pour trouver mon inspiration et ma mise en page.
La tâche a été assez compliquée, car à l’époque, j’ai eu du mal à trouver suffisamment de manuscrits du style. De plus, je pensais continuer ma série de doubles pages en vis-à-vis. Néanmoins, les références que j’ai trouvées ne me plaisaient pas. J’ai donc décidé de ne faire qu’une seule pleine page pour ce chapitre. Pour une fois, j’allais mettre l’accent sur la calligraphie et les décors de textes.
Ma page de gauche serait donc consacrée à ma pleine page, et celle de droite, au texte, dans lequel il fallait que j’inclue un décor.
Ma principale difficulté, pour ce deuxième chapitre, vient du fait que ceux qui révèrent le Dieu Sans Nom son iconoclastes. Il a donc fallu que je trouve un moyen détourné pour représenter cette divinité dans la pleine page. Et parce que je n’avais pas de page de droite pour y inscrire un mantra, il faudrait également que je l’inclue dans ma page de gauche.
Pour ne pas que ce mantra prenne toute la place, j’ai préféré le remplacer par un seul mot sous forme de calligramme. Ce mot est « Sinamad’aek » qui veut dire « Branche de la voie du Sans Nom ». Pour expliquer ce nom de manière rapide, dans mon univers, ceux qui maîtrisent la matière et les éléments sont appelés Manipulateurs, et chaque peuple possède sa Branche au sein de l’Ordre qu’ils ont créé. La Sinamad’aek, c’est la Branche des Manipulateurs Suebens.
Maintenant, pour respecter les caractéristiques mozarabes, il fallait que je travaille mes dessins pour que leurs traits soient naïfs, et mes couleurs vives en aplats.
étape 3 : les références
Pour la pleine page, la palette générale et les décors de texte, je me suis tournée vers de Beatus de Saint Sever, mon petit chouchou (conservé à la BNF sous la cote latin 8878).


Pour la calligraphie des lettres capitales, je me suis tournée vers le Collectio Conciliorum (conservé à la Bibliothèque Digitale Espagnole sous la cote DBH 15460)

étape 4 : la palette de couleurs
Je ne m’y attendais pas vraiment, étant donné que les couleurs sont posées en aplat. Mais pour ce chapitre, la palette de couleurs m’a vraiment posé problème.
Alors que les divinités ne sont pas représentées, les Suebens accordent une forte symbolique aux couleurs et à leur association.
Jaune : représente le Sinam
Rouge : représente l’humilité et la simplicité. C’est la couleur des chefs.
Bleu : représente le don du Dieu Sans Nom, l’eau. Il est systématiquement associé au jaune.
Noir : représente la terre, la naissance.
Blanc : représente l’air, la pureté.
Vert : représente la vie.
Je ne pouvais donc pas utiliser les couleurs que je voulais où je voulais pour des raisons purement esthétiques.
Ensuite, parce que certes, ce ne sont « que » des aplats. Mais ça n’est pas « que » du jaune, du bleu, du vert et du rouge. Je me suis rendue compte que toutes les nuances de couleurs n’allaient pas ensemble, et j’ai vraiment cherché longtemps avant de trouver les associations adéquates.
étape 5 : finalisation du projet
Après avoir étudié mes références, j’ai donc fait des croquis précis pour ma mise en page en travaillant chaque détail. Sur ma pleine page, j’ai remplacé les motifs végétaux dans les coins et dans la frise. Sur ma page de droite, j’ai représenté des religieux. L’un est un humain normal, l’autre a des pouvoirs lui permettant de maîtriser l’eau. J’ai également travaillé une portion du texte en capitales.

Voici quelques-uns de mes nombreux essais couleur !





Et après quasiment deux semaines de prise de tête, voilà le résultat !



A retenir
Voilà donc ce qu’il faut retenir de ce troisième chapitre.
Pour coller au peuple sueben que j’avais créé et qui est inspiré des peuples bédouins, je me suis inspirée de l’enluminure mozarabe. J’ai donc utilisé :
- des dessins aux traits naïfs
- des couleurs vives posées en aplats, et sans mélange
Je n’ai pas représenté la divinité de l’eau par un personnage, car les peuples qui vénèrent le Dieu Sans Nom sont iconoclastes. J’ai donc utilisé la couleur pour signifier sa présence dans la pleine page, où j’ai également introduit un calligramme. Et sur la page de droite, j’ai travaillé les lettres capitales colorées ainsi qu’un décor de texte représentant des religieux.
C’est tout pour aujourd’hui ! J’espère en tout cas que cette plongée dans mon processus créatif vous aura plu ! Si c’est le cas, likez cet article, partagez-le autour de vous et inscrivez-vous à la newsletter pour ne pas louper la suite de l’aventure.
Bonjour,
Merci vraiment de nous faire partager le processus de création de votre ouvrage !
Votre démarche : doutes + essais + solutions… est très intéressante et, attendue le lundi matin !
Merci encore et bonne semaine !
M-A Vallade
Bonjour,
Merci à vous pour votre soutien !
Bonne semaine également !