Un an pour réaliser un manuscrit de toute pièce, de la première idée à la reliure. La semaine dernière, je vous présentais la manière dont j’avais réalisé le troisième chapitre de ce manuscrit dans un style mozarabe. Aujourd’hui, je vous parle de l’étape suivante : celle du quatrième chapitre, consacré aux Terres Varrodenes.

Pour rappel, mon manuscrit a pour thème un monde que j’ai imaginé. J’ai en effet décidé d’utiliser pour sa réalisation un roman de Fantasy que j’écris. Et oui, car en plus d’être enlumineresse, je suis aussi autrice !
Mon cahier des charges est le suivant : choisir un ou deux styles de l’enluminure occidentale, calligraphier un texte court dans l’écriture du.des style.s choisi.s, inclure au moins quatre pleines pages.
Le but de mon manuscrit est donc de présenter les divinités que j’ai inventées pour mon histoire, avec leurs spécificités propres, comme on l’aurait fait au Moyen-Âge.
En théorie
L’idée était de représenter les dieux créateurs des cinq civilisations de mon histoire. La quatrième civilisation concernée est celle des Varrodens.
Pour créer cette civilisation, je me suis librement inspirée des peuples d’extrême Orient, tels que les Mongols et les Chinois, les Coréens et les Japonais. Dans mon histoire, les Varrodens sont trois nations sœurs qui vivent sur un territoire très étendu, mais dont la nature est luxuriante. C’est pourquoi ils ont un respect profond pour cette dernière.
Leur particularité, c’est qu’au contraire des autres civilisations, ils ne vénèrent pas principalement leur créateur, mais leur déesse de la vie nommée Tahura.
Le but de ce quatrième chapitre était donc de représenter la déesse Tahura, dans un style duquel devaient ressortir, si possible, des influences asiatiques.
En pratique
étape 1 : choisir le style
En pratique, le choix d’un style Extrême Oriental pour ce chapitre était impossible, car je devais me limiter à ce qui se faisait en Occident. La difficulté était donc de trouver une mise en page et des motifs qui puissent se rapprocher le plus des influences asiatiques que je recherchais, tout en étant dans le plus pur style carolingien.
Pour cela, je le suis tournée vers deux styles d’enluminure.
Celle de l’école de Charlemagne pour les personnages, et principalement vers les manuscrits dits du Groupe d’Ada. Ils prennent pour modèle une iconographie antique tirée de modèles byzantins. Ce que j’aime particulièrement, dans ce style, c’est la manière dont sont représentés les personnages et les pauses qu’ils ont parfois.
Puis celle de l’école de Charles le Chauve, plus tardive, pour les encadrements et les motifs végétaux. Ce que j’aime, dans ce style, c’est la profusion d’or et de pourpre et la finesse des détails, malgré l’aspect massif de la mise en page.
étape 2 : la mise en page
Une fois le style arrêté, j’ai commencé à chercher des références dans les manuscrits carolingiens que j’avais choisis pour trouver mon inspiration et ma mise en page. J’ai repris mon idée de double page en vis-à-vis, car cela se faisait énormément à l’époque carolingienne, et surtout dans les manuscrits du groupe d’Ada qui me servaient de référence. Sur la page de droite, il y aurait donc un mantra, et sur celle de gauche, la déesse Tahura… mais pas que.
En effet, si dans les autres chapitres, j’ai principalement représenté (quand je le pouvais), les dieux créateurs de mes différentes civilisations. Ils sont accompagnés de deux personnages représentés en plus petit. Ces personnages sont les divinités issues du créateur, et ayant des rôles complémentaires, tels que le plein et le vide, la lumière et l’ombre. Comme les Varrodens, préfèrent, eux, vénérer la déesse de la vie qui aura dans ce chapitre, la place principale, je me devais de l’accompagner par opposition, de son homologue de la mort, Tarod.
Pour le reste, j’avais une idée plutôt arrêtée sur ce que je voulais, malgré les contraintes de style orientales. L’encadrement serait dans le style de Charles le Chauve et les personnages, dans celui de Charlemagne. Il me fallait donc trouver un moyen d' »orientaliser » tout ça, sans dénaturer le style original. La chance que j’ai eue, c’est d’avoir trouvé un type d’encadrement qui rappelle beaucoup certains motifs architecturaux chinois.
étape 3 : les références
Pour les encadrements de mes pleines pages, je me suis tournée vers le Sacramentaire de Charles le Chauve (conservé à la BNF sous la cote latin 1141)

Mais également le Psautier de Charles le Chauve (conservé à la BNF sous la cote 1152)

Pour les personnages, je me suis tournée vers un manuscrit du groupe d’Ada, notamment son évangéliaire (conservé à la Trier Stadtbibliothek sous la cote HS 22)

étape 4 : la palette de couleurs
Pour la palette de couleurs, j’ai conservé comme références ce qui se trouvait dans les manuscrits que j’avais sélectionnés. Et bien que la divinité représentée soit celle de la nature et de la vie, je voulais coller au style carolingien. J’ai donc favorisé les couleurs pourprées avec des touches de vert et de minium pour apporter du contraste, et j’ai utilisé beaucoup, beaucoup d’or.
Contrairement au chapitre précédent, ici, les couleurs ne m’ont pas posé de problème du tout pour l’association des couleurs, ni pour la pose. La principale difficulté était le fondu que je voulais faire sur la pleine page, pour signifier la différence entre la divinité de la vie et son homologue de la mort.
étape 5 : finalisation du projet
Après avoir étudié mes références, j’ai donc fait des croquis précis pour ma mise en page en travaillant chaque détail. J’ai combiné plusieurs encadrements carolingiens pour en obtenir un qui me convenait et qui avait un genre de motif pouvant rappeler l’architecture orientale. Puis j’y ai mis des motifs végétaux luxuriants pour représenter la nature et la vie.
J’ai aussi beaucoup joué sur les motifs orientaux dans la manière dont j’ai représenté les nuages, bien que ce genre de motifs peuvent être trouvés dans certains manuscrits. Là où je n’ai pas pu « tricher », c’est avec les vêtements. Je me suis librement inspirée des tenues traditionnelles chinoises, coréennes et japonaises.

Voici quelques-uns de mes nombreux essais couleur !



Et après quasiment deux semaines de prise de tête, voilà le résultat !



A retenir
Voilà donc ce qu’il faut retenir de ce quatrième chapitre.
Pour coller au peuple verroden que j’avais créé et qui est inspiré des peuples extrême-orientaux, je me suis inspirée de l’enluminure carolingienne. J’ai donc utilisé :
- des encadrements massifs
- des motifs végétaux luxuriants
- des couleurs pourprées en majorité, contrastées avec du vert
- beaucoup d’or
J’ai représenté la divinité de la vie, Tahura, avec son homologue de la mort, Tarod, car les Varrodens les vénèrent eux plus que le créateur.
C’est tout pour aujourd’hui ! J’espère en tout cas que cette plongée dans mon processus créatif vous aura plu ! Si c’est le cas, likez cet article, partagez-le autour de vous et inscrivez-vous à la newsletter pour ne pas louper la suite de l’aventure.