Comment reconnait-on le style graphique roman ? Quelles sont ses caractéristiques ? Dans quel contexte apparait-il ?
C’est ce que je vous explique aujourd’hui.
Contrairement aux styles d’enluminure qui le précèdent, le style roman s’étend à l’ensemble de l’Europe des XIème et XIIème siècles. Il y a bien des spécificités propres aux différents pays ou monastères, mais les fond reste le même.
Contexte
Commençons par replacer l’enluminure romane dans son contexte historique et géopolitique.
Il faut savoir que l’Empire carolingien est tellement étendu qu’il ne peut pas défendre toutes ses frontières en même temps.
IXème et Xème siècles
Aux IXème et Xème siècle, ce vaste territoire est assailli de tous les côtés :
- Par des guerriers venus du Nord, les Vikings, qui pillent tout sur leur passage et notamment les monastères sans défense. Beaucoup de trésors et de manuscrits sont alors perdus.
- Par des envahisseurs venus du sud et de l’est, les Sarrasins et les Hongrois.
Mais il n’y a pas qu’à l’extérieur que la guerre fait rage. À la mort de Charlemagne, l’Empire qu’il a construit ne résiste pas aux guerres intestines. Il se désintègre suite à des règles de successions qui nous paraîtraient aujourd’hui tout à fait illogiques.
Pour faire court : l’Empire a été partagé entre ses différents successeurs qui se sont ensuite fait la guerre pour récupérer la part de leurs voisins.
C’est ainsi que les successeurs de Charlemagne perdent leur pouvoir. A la fin du Xème siècle, Hugues Capet est élu Roi des Francs. La dynastie des Pippinides fait place à celle des Capétiens.
XIème siècle
Durant le XIème siècle, la dynamique au sein du royaume est différente de celle connue jusqu’alors à cause des notions telles que la vassalité et la féodalité. Il y a bien un Roi mais il ne contrôle que son domaine. Les autres territoires sont aux mains de ses vassaux qui y ont les pleins pouvoirs.
Cela pose problème lorsque Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie et vassal du Roi des Francs s’empare de la Couronne d’Angleterre. Il crée ainsi les premières tensions entre les deux royaumes. Car si le Duché de Normandie est toujours vassal du Royaume des Francs, ça n’est pas le cas du Royaume d’Angleterre.
C’est également durant cette période que la première croisade est lancée et se solde par la prise de Jérusalem (1095-1099). Des notions telles que la féodalité et la vassalité se cristallisent sous forme de codes de conduite visant à encadrer la vie du peuple et celle de l’élite : la chevalerie.
XIIème siècle
Durant le XIIème siècle, les rivalités entre la France et l’Angleterre continuent. La maison Plantagenêt, alors rattachée au Royaume Franc, gagne en pouvoir grâce à un mariage. Elle assure ainsi une alliance entre les duchés d’Anjou et de Normandie, deux des territoires les plus puissants. Cela pose problème lorsque Louis VII le Jeune, Roi de France, répudie Aliénor d’Aquitaine. Cette dernière, à la tête d’un puissant Duché, finit par épouser Henri de la maison Plantagenêt qui a entre-temps accédé à la Couronne d’Angleterre.
Vous voyez l’histoire ?
Mais les royaumes chrétiens d’Occident s’entendent pour mener deux nouvelles croisades en Terre Sainte.
C’est donc dans ce contexte de mutation socio-culturelle que se développe l’enluminure romane.
La première conséquence de ces changements est d’abord l’enrichissement des lieux de production qui permet d’augmenter le nombre et la richesse des manuscrits.
La deuxième conséquence est l’augmentation des échanges qui se font entre les différents territoires et qui permettent le partage de techniques artistiques.
En effet, entre les différentes alliances et mésalliances, le développement économique et culturel bat son plein. Les religieux et les artistes voyagent de plus en plus et il n’est plus rare que des copistes étrangers passent quelques années à parcourir les routes pour séjourner dans des monastères français, et inversement.
Il y a également des influences entre les diverses branches artistiques, telles que la sculpture ou l’orfèvrerie dont les motifs se retrouvent dans l’enluminure de l’époque, ce qui peut laisser penser que les artistes de l’époque touchaient à plusieurs disciplines.
Caractéristiques
Les principales caractéristiques de l’enluminure romane au niveau de l’iconographie sont les les lettrines historiées, les drôleries, les portraits d’auteurs et les arbres de Jessé.
Au niveau des techniques, on s’éloigne du naturalisme de l’époque carolingienne. Le style graphique se fait moins réaliste, les formes deviennent très régulières et les drapés sont très travaillés.
Les lettrines historiées
Les lettrines historiées sont des initiales monumentales qui sont décorées de végétaux et de drôleries et contiennent un portrait ou illustrent une partie du texte qui suit.
À cette époque, les initiales historiées sont bien plus nombreuses que les pleines-pages ou que les registres en bandeaux.
Les drôleries
Les drôleries sont des personnages grotesques et des créatures exubérantes qui deviennent partie intégrante de l’enluminure médiévale : des dragons, des hybrides, des créatures ailées qui se contorsionnent dans les lettrines.
Ils tiennent probablement leurs origines des initiales zoomorphes de l’enluminure mozarabe et mérovingienne. Bien qu’ils aient disparus à l’époque carolingienne, ils refont leur apparition à l’époque romane en tant qu’êtres en 3 dimensions.
Les portraits d’auteurs
Les portraits d’auteurs sont, comme leur nom l’indique, les portraits des auteurs des textes enluminés. Ce ne sont pas ou plus les portraits des copistes. On trouve principalement les portraits du Roi David (Psaumes), de St Jérôme (qui a traduit la Bible – Vulgate –), des Prophètes, de Apôtres.
Portrait du Roi Salomon, auteur du livre de l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament.
L’arbre de Jessé
L’arbre de Jessé est un arbre généalogique représentant les ancêtres de Jésus Christ au départ du père du Roi David.
Les drapés
À l’époque romane, le travail des drapés est très important même si la façon dont les étoffes sont représentées est à peine plus réalistes qu’à l’époque carolingienne et ottonienne. On en retrouve plusieurs styles, selon les modes locales, mais le principal est les drapés « mouillés » ou « byzantins ».
Le pli mouillé représente l’étoffe comme adhérant au corps du personnage et soulignant son anatomie. D’origine byzantine, il deviendra la principale caractéristique de l’enluminure anglo-saxonne et du nord de la France.
Quels sont les supports de l’enluminure romane ?
Avant, les livres enluminés étaient les Évangiles ou les livres utilisés durant le service religieux.
Durant la période romane, l’enluminure s’étend aux Bibles monumentales dédiées à l’enseignement, aux commentaires sur les écrits religieux, aux travaux théologiques, à la vie illustrée des Saints, aux missels, aux psautiers, aux antiphonaires… mais également aux romans de chevalerie.
Outre les livres religieux et les romans de geste, les bestiaires sont très populaires à l’époque romane. Ce sont des recueils décrivantdes animaux aussi familiers qu’étranges qui poussent les enlumineurs à transférer les drôleries dans les bibles où elles ont souvent une représentation symbolique : le Mal, la peur de l’inconnu ou l’homme païen.
Influences
Comme je le disais plus haut, à partir du Xème siècle, les échanges entre les différents centres de production s’intensifient. Tout comme l’était l’enluminure carolingienne, celle de l’époque romane est influencée par celle de ses proches voisins. Elle est en réalité le résultat de la fusion et de l’évolution de plusieurs styles : l’enluminure anglo-saxonne au nord, l’enluminure ottonienne au nord-est, l’enluminure byzantine au sud.
De l’enluminure anglo-saxonne vient l’utilisation de certaines teintes et techniques de peinture, ainsi que la prépondérance des lettrines historiées. De l’enluminure ottonienne viennent des motifs végétaux qui se transformeront en rinceaux. De l’enluminure byzantine vient le travail de l’or à profusion et certains modèles de mise en scène ou de vêtements.
Évolution
Avec le temps, les silhouettes deviennent plus petites, plus proportionnées que ce soit dans leur globalité ou avec leur environnement, mais si le trait devient plus précis, la représentation des formes reste idéalisée et non réaliste.
C’est ainsi que l’enluminure de style roman se rapproche du gothique…
A retenir
L’enluminure romane est :
- L’enluminure ayant court en Occident durant les XIème et XIIème siècles
- Le fruit de l’évolution et de la fusion des styles carolingien, anglo-saxon, ottonien et byzantin
L’enluminure romane se reconnaît par :
- Ses couleurs éclatantes héritées de l’enluminure anglo-saxonne
- Ses drapés travaillés et ses plis “mouillés” hérités de l’enluminure byzantine
- Ses motifs végétaux en rinceaux hérités de l’enluminure anglo-saxonne et ottonienne
- Ses drôleries, ses portraits d’auteurs, ses lettrines monumentales et ses arbres de Jessé
Et vous, que pensez-vous de l’enluminure romane ?
Comparée au style carolingien et mérovingien ?
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