Quand on observe les manuscrits, il est parfois difficile de reconnaître les pigments auxquels on a affaire. C’est pourquoi, cette semaine, je vais vous donner quelques pistes pour vous aider à reconnaître les pigments lors de vos observations et vos recherches.
Il est important de noter qu’avec une approche purement technique, l’utilisation d’un pigment est avant tout une question de goût, de nuance, de disponibilité et de prix.
Dans l’absolu, il n’est pas uniquement question de cela, car l’utilisation d’un pigment plus que d’un autre peut être motivée par des croyances ou par la symbolique qu’on lui accorde.
Néanmoins, aujourd’hui, mon but est de vous aider à identifier des couleurs pour ce qu’elles sont.
Oui, mais comment reconnaître les pigments dans les images de référence ?
Établir des bases de données
Pour répondre à cette question, vous pouvez vous y prendre de plusieurs manières. La première est d’établir des bases de données de pigments en fonction de :
- L’époque des manuscrit
- Le lieu de production des manuscrit
L’époque et le lieu de production d’un manuscrit sont en général indiqués dans les descriptions fournies par les bibliothèques, que ce soit sur place ou de manière numérique. Elles pourront déjà vous aiguiller sur la nature des pigments que vous observez.
Pourquoi et comment ?
L’époque du manuscrit
L’époque à laquelle a été produit un manuscrit pourra vous permettre de déduire et établir une liste de pigments correspondants.
Pourquoi ?
Car chaque époque a vu apparaître et disparaître son lot de pigments. En effet, si certains sont utilisés depuis des milliers d’années, d’autres ont été remplacés ou ont disparu au fil des siècles. Ainsi, les pigments utilisés à la fin du Moyen-Âge ne l’étaient pas nécessairement à ses débuts.
Comment ?
Il est possible de savoir quel pigment a été utilisé à quelle époque grâce à des écrits anciens, mais également des recherches modernes.
Au Moyen-Âge, Isidore de Seville et Raban Maur ont tous deux écrit à propos des couleurs, que ce soit concernant leur provenances, leur compositions ou leurs symboliques.
A l’heure actuelle, certains manuscrits ont été analysés par des équipes de scientifiques qui ont par la suite établi des listes précises et datées.
Le lieu de production du manuscrit
Tout comme l’époque, le lieu où a été produit le manuscrit peut vous aider à réduire ou étoffer la liste des pigments qui ont pu être utilisés pour le réaliser. Car certains pigments n’étaient pas forcément utilisés partout, que ce soit pour une question de prix, de mode ou de disponibilité.
Sur ce point, encore une fois, seules des recherches pourront vous aider.
En pratique
En pratique, pour que vous puissiez établir vos propres listes, commencez par observer ce que vous voyez, puis comparez vos observations avec des pigments que vous connaissez.
Observez
Choisissez une page de manuscrit à partir d’une bibliothèque numérique, notez l’époque à laquelle il a été produit ou le style auquel il appartient, et listez les différentes couleurs que vous observez. Essayez un maximum de regrouper ces couleurs par catégories.
Voilà une liste de questions à vous poser :
- A quel style ce manuscrit appartient-il ? (mérovingien, carolingien, roman, gothique, insulaire, etc.)
- Quelles couleurs voyez-vous ? (jaune, bleu, vert, rouge, brun, blanc, noir)
- Combien de nuances de ces couleurs voyez-vous ?
- Ces nuances proviennent-elles d’un camaïeu ? (même couleur plus ou moins intense)
- Ces nuances semblent-elles provenir de pigments différents ? (même famille de couleurs, mais nuances différentes, par exemple : orange ou rouge, bleu franc ou bleu-gris)
Vous observerez certainement que plus les manuscrits sont anciens, moins les palettes sont étoffées, et inversement.
Notez
N’hésitez pas à imprimer vos pages de référence et à y noter vos observations. Mais prenez bien garde à ce que vos impressions soient de qualité suffisante pour refléter la couleur du pigment au mieux.
Vous pouvez également faire ce travail sur ordinateur.
Ne cherchez pas nécessairement à donner les noms de pigments aux couleurs que vous observez. Cela risquerait de vous limiter dans vos observations. A la place, donnez-leur les noms qui, selon vous, les définissent le mieux.
Par exemple : rouge franc, rouge orangé, rouge violacé, brun-rouge, ou alors bleu franc, bleu gris.
Comparez
Comparez ensuite les références que vous venez d’établir avec des pigments que vous connaissez déjà, ou des pigments que vous pouvez trouver chez différents fournisseurs.
Par exemple :
- De quel pigment le rouge que vous observez peut-il se rapprocher le plus ? D’un rouge vermillon, un cinabre ou d’un orange minium ?
- De quel pigment le bleu que vous observez peut-il se rapprocher le plus ? D’un bleu outremer ou d’un indigo ?
La base
A force d’observation et de pratique, vous finirez par établir une liste de couleurs de base. Mais, pour vous donner un coup de pouce, voici celle que j’ai faite moi-même. Elle me permet d’identifier les couleurs que j’observe en fonction de leurs nuances.
Par exemple : un jaune dont la nuance est crémeuse et éclatante, je l’identifie à de l’orpiment.
- Jaunes :
- jaune crémeux et éclatant : orpiment
- jaune un peu plus terreux : ocre jaune
- Bleus
- bleu un peu gris ou violet : indigo
- bleu éclatant : lapis-lazuli
- Verts
- quasiment toutes les nuances de vert allant d’un vert gris à un vert presque turquoise : vert-de-gris
- Rouges
- rouge orangé ou orange : minium
- rouge éclatant : vermillon
- rouge violacé ou un peu brun : pourpre
Vue comme ça, elle est très générale et un peu réductrice.
Néanmoins, elle regroupe les couleurs de base utilisées au début du Moyen-Âge. Il faut simplement garder en tête que ces couleurs de bases pouvaient ensuite être obtenues grâce à différents pigments.
Par exemple :
L’azurite remplace parfois le lapis-lazuli. De même, les pigments tels que le folium ou l’orseille sont des substituts de la pourpre, qui est à l’origine obtenue à partir d’un coquillage disparu, le murex. Il ne tient qu’aux choix ou aux moyens de l’enlumineur d’avoir utilisé un de ces pigments plutôt qu’un autre.
A retenir
Pour reconnaître les pigments que vous rencontrez dans les manuscrits, vous devez :
- Observer
- le style du manuscrit
- les couleurs
- les nuances
- Noter vos observations
- Comparer vos observations avec des pigments que vous connaissez
Mais surtout, gardez en mémoire que l’utilisation d’un pigment plus que d’un autre est une question de :
- goût de la part de l’enlumineur
- nuance désirée
- disponibilité
- prix
Si l’important pour vous est simplement de saisir les différentes nuances de couleurs d’un manuscrit, vous pouvez vous en tenir à la liste que je vous ai donnée. Bien que générale, elle vous permettra d’identifier les différentes couleurs de base du début du Moyen-Âge.
Néanmoins, si votre but est de connaître précisément les pigments utilisés dans un manuscrit donné, il vous faudra faire plus de recherches.
J’espère en tout cas que cet article vous aura plu ! Dites-moi en commentaire si vous parvenez facilement à identifier les différents pigments que vous observez dans les manuscrits, et si ça n’est pas le cas, quelles difficultés vous rencontrez.